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23 October 2024

CALL FOR PAPERS: Les pratiques aristocratiques du clergé : transgresser la norme cléricale en Occident (IXe -XIVe siècle) (Paris: Sorbonne Université, 10-11 APR 2025) [DEADLINE: 25 NOV 2024]

(Image source: Royal Historical Society)


Un homme d’Église se doit d’être modeste. C’est en tout cas ce qu’affirment nombre de traités et de miroirs médiévaux, les moralistes ne se privant pas de rappeler que le clerc est un modèle pour les fidèles et qu’il doit illustrer l’humilité du Christ1. Pourtant, il n’est pas rare que certains ecclésiastiques s’adonnent à des pratiques empruntées aux codes de comportements aristocratiques et, ce faisant, s’affranchissent parfois des normes qui leur sont peu à peu imposées par l’Église, quitte à outrepasser certains interdits. C’est au prisme de cette ambiguïté entre un idéal clérical qui se veut dépouillé et la réalité de pratiques aristocratiques ostentatoires chez certains ecclésiastiques, que nous proposons d’interroger la dynamique de transgression de la norme cléricale.

La question des transgressions au sein de l’Église n’a pas manqué d’interpeller l’historiographie récente. En témoigne, par exemple, la thématique des rencontres de Fanjeaux de 2021, consacrées au lien entre conformisme et transgression dans l’Église méridionale2. Qui plus est, dans le sillage des études récentes sur la réforme grégorienne, la transgression de la norme du célibat ecclésiastique, a fait quant à elle l’objet d’une attention particulièrement accrue, comme le montrent les travaux d’Isabelle Rosé3. Enfin, des études sociales du clergé, à l’instar de celle d’Hugh Thomas consacrée au clergé séculier anglais, ont montré les tensions et les ambiguïtés nées des liens qu’entretiennent le clergé et monde laïc4. À la croisée de ces deux axes de recherche, il s’agit de voir comment certains ecclésiastiques adoptent des comportements aristocratiques, perçus comme transgressifs par l’Église à plus d’un titre, bien que différemment selon les périodes.

Au sens strict l’aristocratie se définit comme un groupe restreint d’individus qui exercent une domination sociale et possèdent une identité commune distinctive5. En effet, l’aristocratie se distingue par des pratiques et des modes de vie qui valent à ses membres d’être reconnus comme des aristocrates et de se revendiquer comme tels. En ce sens, nous considérerons que l’aristocrate ecclésiastique n’est pas seulement celui qui, né dans une famille aristocratique laïque, est devenu membre du clergé, mais également un membre du clergé qui, s’étant élevé au sein de la hiérarchie ecclésiastique, se comporte comme un aristocrate.

Pour autant, certaines pratiques inhérentes à l’ethos aristocratique entrent en conflit avec les normes du statut ecclésiastique et deviennent ainsi de facto transgressives dès lors qu’elles conduisent les ecclésiastiques à enfreindre les interdits qui leurs sont prescrits, notamment lorsque la norme évolue ou se renforce. À titre d’exemple, l’usage de la violence et des armes, notamment dans cadre militaire, s’oppose à l’interdiction de verser le sang6. Le mariage s’oppose à la pratique du célibat ecclésiastique7. La possession de richesses personnelles, l’implication dans des affaires commerciales, ou le port de vêtements fastueux, pratique régulièrement condamnée, s’éloignent de l’idéal de pauvreté du clerc. L’attachement aux liens de parenté, de patronage, aux liens féodaux, est susceptible de conduire à la simonie. La pratique de loisirs aristocratiques par les ecclésiastiques, tels que la chasse, le jeu, ou le banquet sont également réprouvés8. Autant de pratiques auxquelles il conviendra de s’intéresser car, loin d’ériger les clercs en modèles d’humilité, elles les conduisent à s’adonner, entre autres, à la luxure, à la gloutonnerie9, à l’ivrognerie, et à la cupidité.

En définitive, il conviendra de montrer que si la liste de ces pratiques est aussi diverse que difficile à établir de manière exhaustive, c’est parce que la perception de ce qui est considéré comme transgressif évolue selon la définition des normes, selon les contextes, selon les périodes et selon les points de vue. En ce sens, on portera donc une attention particulière à la pluralité des réactions suscitées par ces pratiques transgressives. Y a-t-il simple désapprobation, stricte sanction, accommodation et recherche de compromis, ou franche indifférence ? Comment évoluent ces réactions laïques et ecclésiastiques dans un contexte où les membres du clergé ont de plus en plus d’opportunités dans le monde séculier ? Pourquoi certains comportements autrefois considérés comme acceptables sont-ils de moins en moins tolérés, au point de devenir insupportables ? Il sera particulièrement intéressant de considérer les réactions parfois contradictoires des acteurs en présence, autorités laïques, autorités religieuses, ainsi que celles émanant des populations. Le caractère transgressif pourra également être interrogé au regard de la réitération de certaines pratiques, parfois coutumières, et des débats qui traversent l’Église et la société dans son ensemble à leur sujet. 

Si le clergé séculier offre des cas d’étude évidents en raison de ses liens avec le siècle, souvent soulignés par les moralistes médiévaux, les membres du clergé régulier ne sont pas exempts de pratiques aristocratiques déviantes et devront être étudiés. Le pape et les cardinaux seront exclus de cette étude, tant ceux-ci ouvrent des problématiques spécifiques à leur statut. Il en va de même pour les étudiants d’université, dont le statut particulier poserait des interrogations plus larges.

On s’intéresse ici à l’Occident latin, de la réforme carolingienne à la peste noire, période marquée par une continuelle tentative de mise en ordre de l’Église par elle-même. Premier mouvement de réforme d’ampleur, la réforme carolingienne se traduit déjà par une tentative de (re-)définition des comportements appropriés pour un homme d’Église, en incitant ces derniers à adopter un mode de vie digne de leur statut qui les différencie des laïcs. Cet effort se poursuit dans les siècles qui suivent. Dès le début du Xe siècle la réforme monastique d’ampleur initiée à Cluny et, au siècle suivant, la réforme grégorienne, participent à cet effort de moralisation du clergé, et de distinction de la frontière entre clercs et laïcs. Le choix est fait de prendre comme borne de fin les années 1348, alors que la peste noire et ses répercussions marquent un bref temps d’arrêt dans les tentatives de réforme de l’Église médiévale. L’approche choisie est donc celle du temps long, afin d’étudier les évolutions des pratiques perçues comme transgressives, des sanctions et de la norme.

Comment cette norme s’adapte-t-elle aux évolutions tant de l’Église que de la société ? Bien souvent, le fait précède la norme : si le clerc guerrier ne pose aucun problème dans les premiers temps du Moyen Âge, celui-ci devient au fil de la période tout à fait inconcevable.

Trois axes de réflexion seront privilégiés pour expliquer la permanence de  comportements aristocratiques chez certains ecclésiastiques, en inadéquation avec les interdits qui leurs sont peu à peu imposés : le recrutement aristocratique d’une partie du clergé ; la proximité de certains ecclésiastiques avec les élites laïques aristocratiques, notamment dans les milieux curiaux ; l’existence d’une élite ecclésiastique cherchant à se distinguer par ses pratiques du reste du clergé et des élites laïques.


Axe 1 : Le recrutement aristocratique du clergé, un facteur de transgression.

Une partie du clergé est issue de l’aristocratie laïque. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne le haut clergé, à l’instar de l’épiscopat dont le recrutement est largement aristocratique. Le contrôle des évêchés par la haute aristocratie laïque alimente justement l’argumentaire des réformateurs grégoriens réclamant la liberté des élections épiscopales. Le clergé régulier n’est pas en reste : nombre d’abbés et de moines sont issus de l’aristocratie, d’autant que c’est à ces mêmes familles aristocratiques que l’on doit la fondation de nombreux monastères depuis le haut Moyen Âge. Si, notamment à cette période, clercs et laïcs proviennent en partie des mêmes familles aristocratiques et ont été élevés avec les mêmes valeurs, il n’est donc pas étonnant que ces ecclésiastiques se conforment aux pratiques de leur milieu d’origine, d’autant plus que certains continuent parfois d’entretenir des liens étroits avec leur parenté. Comment alors résoudre le dilemme de cette double appartenance au monde aristocratique et au monde ecclésiastique sans transgresser les normes ecclésiastiques ? Quelles pratiques réprouvées observe-t-on et quelles réactions suscitent-elles ?


Axe 2 : Pratiques aristocratiques ecclésiastiques et exigences des liens avec le pouvoir séculier

Un certain nombre d’ecclésiastiques vivent au contact des aristocrates et de leurs pratiques : un officier curial ou un moine d’une communauté qui reçoit fréquemment de grands personnages participe donc à des banquets, se retrouve parfois mêlé à des intrigues et peut éventuellement aller à la chasse. Comment, dès lors, concilier son état avec ces pratiques qu’il est difficile d’éviter ? Les moralistes les condamnent, mais comment est-ce perçu par le reste de la population, notamment les laïcs, et par la cour elle-même ? Existe-t-il précisément des stratégies d’évitement, d’accommodement ou d’adaptation de la part des officiers curiaux ecclésiastiques et comment se manifestent-elles concrètement ?


Axe 3 : Pratiques aristocratiques et stratégies de distinction d’une élite ecclésiastique

Aussi bien l’aristocrate de naissance, devenu évêque par son réseau, que le moine donné comme oblat encore enfant, et qui se hisse jusqu’au rang d’abbé, chacun se doit de démontrer son appartenance à une élite ecclésiastique. Prélats et ecclésiastiques de haut rang partagent ainsi, en raison de leur position, un certain nombre de points communs avec les aristocrates séculiers : hauts revenus, dépenses importantes, réseaux de patronage, culture littéraire, etc. Tout cela participe d’une stratégie de distinction sociale au sein même de l’Église, mais aussi de concurrence avec un pouvoir laïc dont il faut se démarquer. Pour autant, cette stratégie entre en conflit avec l’idéal déjà évoqué de pauvreté et d’humilité christique. Dans ce contexte, comment montrer que l’on est une élite ecclésiastique sans transgresser la norme ? Qu’attendent les laïcs d’un ecclésiastique de haut rang : le modèle du prélat humble souhaité par les moralistes ou bien la représentation de la puissance de l’Église ? Comment évolue cette représentation au cours du temps, notamment entre l’avant et l’après réforme grégorienne ?


MODALITES DE CONTRIBUTION

L’appel s’adresse en priorité aux jeunes chercheurs et chercheuses. Les propositions de communication, rédigées en français, devront comporter un titre provisoire, une présentation en 500 mots maximum avec une bibliographie indicative, ainsi qu’une courte biographie. Elles devront préciser dans quel(s) axe(s) de l’appel à communication elles s’inscrivent. Elles devront être envoyées par mail, avant le 25 novembre, à l’adresse pratiquesaristocratiquesclerge@gmail.com.

Les communications, d’une durée de 25 minutes, devront être présentées sur place, à Paris, en français ou en anglais.


Comité d’organisation :

  • Harold Hans (Sorbonne Université)
  • Valentine Ferreira (Sorbonne Université)

Comité scientifique :

  • Bruno Dumézil (Sorbonne Université)
  • Frédérique Lachaud (Sorbonne Université)
  • Cécile Caby (Sorbonne Université)
  • Laurent Ripart (Université Savoie Mont Blanc)


Further information can be found here.



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