(image source: univ-droit)
Colloque Jeunes Cherch(eur)euses de l’IRM
« La norme en sciences
sociales : regards croisés histoire du droit - science politique »
La norme constitue un présupposé
implicite dans la connaissance des sociétés humaines (Durkheim, 2009 [1894]).
Pour qui veut étudier un ordre social, elle est un point de référence obligé.
Prise dans un sens large, la norme revêt, en effet, deux dimensions
essentielles qui soulignent sa centralité (Labbé, 1994). La première est
d’ordre ontologique : la norme renvoie à ce qui « est », ce qui est en vigueur
dans une société donnée. Ainsi, elle représente une donnée préalable
nécessaire, une réalité empirique sur laquelle se fonde toute analyse. La
seconde dimension, arrimée au concept de norme, est d’ordre structurel : ici
l’accent est porté sur le rôle organisateur de celle-ci dans l’ordre social. La
dynamique de toute société s’articule en fonction des normes qui la composent
et qui règlent, déterminent et sanctionnent la vie en société.
Au regard de ces
deux propriétés, la norme occupe donc une place fondamentale dans l’analyse des
sociétés humaines. Aussi, cette importance justifie l’intérêt porté à son égard
: la norme est interrogée dans le cadre de réflexions théoriques et de
manifestations scientifiques. Celles-ci visent, à chaque fois, à éclairer cet
objet à la fois noyau et condition de toute compréhension de l’ordre social.
Cependant, un tel intérêt se heurte à une difficulté majeure : celle de
l’appréhension de la norme. Intuitivement associée à l’idée de « règle de
conduite » collective et sanctionnée, la norme apparaît fuyante dès que l’on se
penche sur elle. Cet aspect se dévoile dans la polysémie à laquelle la norme
est liée et dans la variété de ses usages. Ainsi, la norme est plurale et
mouvante dans le temps et dans l’espace. Chacune de ses formes semble, en
outre, être régie par ses propres règles : une norme sociale n’obéit pas aux
mêmes principes qu’une norme juridique. Cette pluralité nous invite aussi à
questionner la pertinence du singulier : peut-on parler de la norme ou doit-on
parler des normes (Leca, 2015 ; Giavarini 2017) ?
La diversité du
phénomène normatif est donc source de complexité mais aussi de débats. L’un des
écueils serait pourtant de vouloir parvenir à une définition unique et
consensuelle de la norme. Partant, l’enjeu consiste, à travers le dialogue
pluridisciplinaire, à éclairer celle-ci sans céder à la tentation de l’identité
conceptuelle. Tel est le projet de ce colloque organisé par l’Institut de
Recherche Montesquieu : assumer le caractère mouvant de la norme, tout en
souhaitant parvenir à une meilleure intelligibilité de celle-ci. L’intérêt
d’une telle rencontre réside, plus particulièrement, dans la volonté de
circonscrire une telle étude au regard de deux disciplines : l’histoire du
droit et la science politique. Partant, un dialogue conjoint semble fournir un
cadre idéal pour une meilleure appréhension du phénomène normatif. La norme,
objet d’étude commun, semble en effet tiraillée entre deux approches parfois
contradictoires.
Dans une
perspective idéal-typique : les politistes s’intéressent à la norme dans une
optique principalement processuelle, dans la mesure où la science politique se
penche sur la dynamique de l’émergence des contraintes sociales
institutionnalisées. Néanmoins, les normes ne se réduisent pas nécessairement à
la seule contrainte formelle, institutionnalisée dans l’État. Une grande partie
du corpus normatif provient de règles
implicites intériorisées par les individus qui, dans des processus complexes
d’interactions, s’inscrivent dans un temps long et participent de la « civilisation
des mœurs » (Elias 1973). Par conséquent, la science politique porte également
un regard sur la manière dont les individus s’auto-contraignent par des
habitudes régulières au sein d’interactions sociales, mais non formalisées d’un
point de vue juridique.
L’historien(ne)
du droit, quant à lui (elle), appréhende les sources juridiques dans une
perspective rétrospective et prospective (Halpérin, 2013). Il suit alors
l’évolution de celles-ci dans un cadre spatio-temporel et s’interroge sur cet
environnement au sein duquel elles sont pensées, élaborées et appliquées. Le
choix de cet environnement détermine les réponses apportées aux questions
inhérentes à la norme en termes d’acteurs (le droit des affaires est un exemple
éloquent sur la question Hilaire, 1995), d’historicisation et de matériaux
utilisés pour aboutir à une analyse éclairante.
Le dialogue de
ces deux disciplines propose ainsi un dépassement de la simple narration au
profit de l’analyse constructive. Cependant, une telle réflexion implique de
questionner l’historien(ne) du droit et le ou la politiste sur leurs méthodes,
leurs choix et donc, leur appareil critique. Parce qu’histoire du droit et
science politique appréhendent différemment le phénomène normatif, nous
postulons que la norme ne sera pas entendue de la même manière. Pour autant,
cela ne doit pas vouloir dire qu’il s’agit de champs antagonistes, voués à
répandre leurs expériences et savoirs dans des conclusions qui leurs seraient
réservées. C’est pour mieux saisir la norme en tant qu’objet social que l’on
entrevoit toute l’acuité à vouloir croiser les regards des politistes et des
historiens du droit sur ce sujet. Une attention particulière sera ainsi
accordée à la dimension épistémologique : comment l’historien(ne) du droit et
le ou la politiste, au travers de leurs analyses, appréhendent le phénomène
normatif ?
Les réflexions
pourront ainsi porter sur la norme en tant que telle – qu’elle soit juridique,
sociale, morale, etc. – ou sur les différents « moments » du processus
normatif. Qu’elles soient appréhendées par les historiens du droit ou les
politistes, les normes obéissent à une commune structure temporelle dont la
réflexion (doctrinale), l’élaboration et l’application sont les trois piliers.
Dans la
perspective de favoriser le dialogue conjoint entre histoire du droit et
science politique, la norme sera aussi envisagée in media res : il s’agira de contextualiser le processus normatif
afin de mettre en avant le rapport dialectique qui se noue entre les deux (par
exemple, Frydman, 2016). En effet, tout contexte porte en lui des facteurs –
multiples et protéiformes – qui agissent sur le processus normatif au cours de
ses différents « moments ». Tout au long de son existence, la norme est donc
déterminée par des éléments extérieurs à elle. Inversement, la norme agit sur
le contexte dont elle dépend. Les trois « moments » du processus normatif
portent en eux des effets qu’il convient d’appréhender. Aussi, le dialogue sur la norme, par une approche commune de
l’histoire du droit et de la science politique, doit se nourrir d’un cadre
concret d’étude. Trois axes, au carrefour des deux disciplines, paraissent
pertinents pour comprendre l’ampleur du phénomène normatif : le pouvoir, la
religion et le voyage.
Norme(s) et pouvoir
Cet axe de
réflexion s’intéresse à l’interdépendance entre le pouvoir politique et les
normes. Alors que le pouvoir politique s’appuie sur diverses normes pour
prendre forme, l’existence même de ces normes est souvent liée à celle d’un
pouvoir politique contraignant capable de les appliquer, de les abolir ou de
les transformer (Foucault, 1975). La relation entre ces deux notions implique
une dialectique singulière qui intéresse à la fois le regard des juristes,
historien(ne)s du droit et celui des politistes. Prenons, par exemple, le
processus de codification qui a lieu sous Napoléon Ier autour du
Code civil. Malgré une volonté manifeste de dépolitiser le travail juridique
sur les corpus pour les rendre plus
objectifs (Portalis, [1801]), ces mêmes corpus
sont néanmoins issus d’une vision profondément politique de la société, dont
les élites napoléoniennes sont les vecteurs. Nous trouvons donc là un rapport
ambivalent à la norme, juridique en l’occurrence, vis-à-vis du pouvoir
politique. Les communications pourront explorer ce rapport à la lumière des
trois « moments » de la norme que sont sa réflexion, son élaboration et son
application. Les contributions pourront tout aussi bien s’intéresser aux
revendications politiques, aux réflexions doctrinales ou, plus largement, aux
rapports de force juridico-politiques qui accompagnent l’interaction entre les
normes et le pouvoir politique.
Norme(s) et religion
Dans les Institutions divines, Lactance définit
la religion comme le lien qui rattache les humains à Dieu, comme à toute forme
de transcendance. Cette conception de la religion peut s’incarner à travers une
vision du monde, un discours, ou une manière d’être. Ces éléments traduisent
non seulement la verticalité des rapports entre les personnes et la divinité,
mais également la dimension plurale et transcendantale de ces rapports. Ainsi,
l’objectif est d’analyser la manière dont ces aspects se conjuguent avec les
trois temps de la norme. Dans un premier temps, lors de son processus de
réflexion, en examinant l’influence de la religion dans les présupposés
ontologiques des penseurs de la norme (Timsit, 1991) ; tel peut être l’exemple
de l’influence du christianisme dans l’émergence de la culpabilité en droit
pénal, ou du protestantisme dans l’émergence du capitalisme (Weber 1985
[1904-1905]). Dans un second temps, lors de son élaboration, que ce soit par
les acteurs institutionnels, non-institutionnels ou hybrides, comme en
témoignent le syncrétisme communiste et le néoconfucianiste en Chine, les
prescriptions juridiques dans le salafisme ou encore les tribunaux islamiques
en Angleterre. Enfin, dans son application, qu’il s’agisse de son effectivité,
de sa sanction ou de sa réception, comme le démontre l’influence de l’Index librorum prohibitorum sur
l’application de la norme par les magistrats. L’influence de la religion n’a
pas manqué de susciter critiques et résistances, d’où la nécessité de les
prendre en compte, elles-aussi, comme piste de réflexion.
Norme(s) en voyage
L'objectif de cet
axe est d'aborder la norme dans sa relation avec la sphère internationale. Dans
un monde globalisé, la norme est effectivement un objet en constante
redéfinition que les acteurs étatiques incorporent quotidiennement. Pour cela,
deux orientations principales – mais non exhaustives - seront privilégiées. La
première concernera « la norme internationale », telle qu’elle est couramment
admise aujourd’hui, c'est-à-dire la norme d'un point de vue supra-étatique. Les
États sont effectivement en contact permanent avec une multitude de normes,
aussi différentes soient-elles, avec lesquelles ils interfèrent. En ce sens,
quelle est la place de la norme internationale dans le comportement des États ?
La seconde orientation souhaitée portera, quant à elle, sur « la circulation de
la norme » (Galindo, 2014), c'est-à-dire de territoire en territoire. Comment
les normes se diffusentelles au gré des interactions entre les différents
espaces concernés ? Il conviendra alors d'analyser les modalités de circulation
de la norme entre les différentes aires géographiques – émettrices et
réceptrices de normes (Bourdieu, 2002) pour illustrer le phénomène de norme(s)
en voyage.
Bibliographie indicative
BECKER, Howard Saul, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Éditions Métailié, 1985.
BOURDIEU, Pierre, «
Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales,
vol. 145, décembre 2002, p. 3-8.
DURKHEIM, Émile, Les règles de la méthode sociologique,
(1894), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2009.
ELIAS, Norbert, La civilisation de mœurs, Paris, Calmann-Levy, Archives des
sciences sociales, 1973.
FOUCAULT, Michel, «
La Vérité et les formes juridiques », in Dits
et Écrits, tome I, n°139, 1974, p. 538-646.
FRYDMAN, Benoit, «
L’ordre juridique : un concept historiquement situé », in Laurent-Bonne,
Nicolas et Prévost, Xavier (dir.), Penser
l’ordre juridique médiéval et moderne. Regards croisés sur les méthodes des
juristes (I), Paris, LGDJ, 2016, p. 43-55.
GIAVARINI, Laurence
(dir.), Pouvoir des formes, écriture des
normes, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2017.
GALINDO George, «
Legal Transplants between Time and Space », dans Duve Thomas (ed.), Entanglements in Legal History: Conceptual
Approaches, Max Planck Institute for European Legal History, Frankfurt am
Main, 2014, p. 129-148.
HALPÉRIN,
Jean-Louis, « Droit et contexte du point de vue de l’histoire du droit », Revue interdisciplinaire d’études juridiques,
vol. 70, 1 (2013), p. 117-121.
HILAIRE, Jean, Le droit, les affaires et l’histoire, Paris, Économica, 1995.
KELSEN, Hans, Théorie pure du droit, (1934), Paris, LGDJ, 1999.
LABBÉ, Xavier, Les critères de la norme, Lille, Presses Universitaires de Lille,
1994.
LACTANCE, Institutions divines, (début IIIe
siècle), Paris, Éditions du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », 1973.
LECA, Antoine, Formation et transformations du droit
français. Des origines au XXIe siècle,
Paris, LexisNexis, 2015.
PORTALIS,
Jean-Étienne-Marie, Discours préliminaire
du premier projet de Code civil, (1801), Bordeaux, Éditions Confluences,
1999.
SCHMITT, Carl. La notion du politique - Théorie du partisan. Paris, Flammarion,
1992.
TIMSIT, Gérard, Les noms de la loi, Paris, PUF, 1991.
WEBER, Max, L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme, (1904-1905), Paris, Presses-Pocket, Agora, 1985.
Modalités d’organisation du colloque
L’objectif global
de cette manifestation scientifique étant d’encourager le dialogue
interdisciplinaire, l’organisation du colloque se fera selon les modalités
suivantes :
-
Les intervenant(e)s du colloque seront réparti(e)s en
panels thématiques suivant les orientations retenues parmi les trois axes de
l’appel à communications ;
-
Outre les intervenant(e)s, les panels comportent deux
discutant(e)s en provenance des deux disciplines concernées (histoire du droit
/ science politique) dont la tâche sera de lire au préalable les travaux des
intervenant(e)s et d’en fournir une analyse critique en se fondant sur le(s)
cadre(s) scientifique(s) mobilisé(s) ;
-
Afin de favoriser le dialogue interdisciplinaire, les
politistes seront invités à lire et à discuter les travaux des historien(ne)s
du droit et inversement ;
-
Les discussions porteront sur les enjeux
épistémologiques et méthodologiques communs qui relient nos deux disciplines
institutionnelles au socle commun des sciences sociales : travail d’archives,
entretiens, paradigmes/concepts mobilisés, objectifs poursuivis par les
approches, etc.
Afin de
concrétiser l’interdisciplinarité, les intervenant(e)s retenu(e)s devront
prévoir une communication de 15 minutes et envoyer leurs versions écrites à
destination des discutant(e)s (entre 25 000 et 30 000 signes maximum, espaces
comprises) selon le calendrier suivant :
-
Fin de l’appel à communication :
septembre 2018 ;
-
Date de sélection
:
novembre 2018 ;
-
Date limite d’envoi des contributions écrites :
février 2019 ;
-
Colloque :
mai 2019.
Modalités
d’envoi des propositions de communication
Les
propositions devront contenir :
-
Le titre de la communication ;
-
Un court résumé de 500 mots maximum précisant un des
trois axes dans lequel s’inscrit la communication ;
-
Les coordonnées institutionnelles et une courte
description des recherches menées.
Modalités pratiques et financement
Le
colloque aura lieu courant mai/juin 2019
à l’Université de Bordeaux, campus de Pessac, et se déroulera sur deux
journées. Le comité d’organisation du colloque prendra en charge les remboursements des billets de trains /
frais de logement à hauteur de 150 euros
forfaitaires. Les communications écrites feront l’objet d’une publication à la
charge du comité d’organisation (les versions écrites seront susceptibles de
devoir être adaptées aux normes éditoriales).
Pour tout renseignement
complémentaire : colloqueirm@icloud.com
Comité d’organisation
David BERTRAND (doctorant en science politique –
Institut de Recherche Montesquieu)
Pierre BOURGOIS (doctorant en science politique –
Institut de Recherche Montesquieu)
Thibaut DAUPHIN (doctorant en science politique –
Institut de Recherche Montesquieu)
Clémence FAUGÈRE (doctorante en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Alexandre FRAMBÉRY (doctorant en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Pauline GIRARD (doctorante en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Badr KARKBI (doctorant en science politique –
Institut de Recherche Montesquieu)
Victor LE BRETON-BLON (doctorant en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Nicolas MÉDAN (doctorant en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Marco MELLINA (doctorant en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Alizée MIRANDA (doctorante en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Clément RODIER (doctorant en science politique –
Institut de Recherche Montesquieu)
Rafael SUGUIMOTO (doctorant en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Claire VACHET (doctorante en histoire du droit –
Institut de Recherche Montesquieu)
Marine
VETTER (doctorante en
histoire du droit – Institut de Recherche Montesquieu) Roman VOLKOV
(docteur en science politique – Institut de Recherche Montesquieu)
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