(image source: VUB-CORE)
Méconnu en France, le philosophe du droit Karl Christian Friedrich Krause (1781-1832) eut une descendance intellectuelle riche. Cultivée autant par des politiques libéraux soucieux de résoudre la « question sociale », que par des juristes intéressés par ses thèses organicistes et tutélaires, sa pensée connut un réel essor en Europe grâce aux travaux de vulgarisation de ses élèves, dont plusieurs deviendront professeurs : Heinrich Ahrens, Karl Röder, Théodore Schliephake et Hermann Karl von Leonardi. En quelques mots, la philosophie krausiste se présente comme un spiritualisme rationaliste et humaniste, articulé autour de deux postulats de départ. Le « panenthéisme », d’une part, sorte de conciliation entre panthéisme et théisme, c’est-à-dire entre conceptions transcendante et immanente de Dieu, ce dernier contenant le monde sans se confondre avec lui. La vision d’une humanité formant un grand organisme vivant, d’autre part, qui comprend diverses unités sociales reliées entre elles de façon harmonique, dans l’idée de développer l’homme en lui permettant d’atteindre ses buts (vertu, beauté, droit, religion, science, art et éducation). Afin de permettre à l’homme d’accéder à sa « pure et complète humanité », le versant politique du krausisme porta un vaste programme éducatif et progressiste (quoique profondément hostile au positivisme et au matérialisme), inséré au sein d’un libéralisme solidaire et d’une démocratie organique. Cette dernière est bâtie sur un système représentatif dualiste offrant une chambre spécifique à la représentation des intérêts sociaux, que d’aucuns pourraient voir comme une préfiguration des chambres corporatives. Le propos vise à rassembler les hommes autour de leurs objectifs communs via un ensemble harmonieux d’associations générales et spéciales, faisant ainsi cesser toute concurrence inutile et nuisible entre eux. La synergie associative autorisera ainsi la formation d’une « Alliance de l’Humanité », fédération ultime couronnant toutes les associations ; elle initiera, du même coup, le troisième âge de l’histoire humaine dégagé par Krause : celui de l’harmonie. Dans l’optique de garantir le triomphe de ce troisième âge, le versant juridique du krausisme opta pour une refonte de la théorie de l’État, vu comme une association destinée à promouvoir et à réaliser le droit. Le droit étant le principe qui régit tous les rapports entre les sphères sociales dans lesquelles vit l’humanité, son régulateur autrement dit, l’État s’érige ainsi en un vaste pouvoir régulateur et conservateur de l’ordre social : il promeut et diffuse le droit et les valeurs culturelles qu’il porte en lui, toujours dans l’idée de mener chaque être humain vers son plein épanouissement. Les applications en furent nombreuses ; et si l’on retient surtout l’abolition de la peine de mort en 1867 par les Portugais convertis au krausisme, il convient aussi de mentionner l’avant-gardisme des krausistes sur des thèmes comme l’écologie et les droits de la femme. Ce colloque cherche à combler une lacune en France, où aucune synthèse n’existe. Nous proposerons ainsi un panorama des krausismes juridique et politique, limité à son berceau européen, mais ayant toutefois pour ambition de dévoiler et d'explorer les pistes de recherches en France.
Programme:
Day 1Aux origines du krausisme : philosophie du droit et droit naturel1 - La philosophie du droit de Karl Christian Friedrich Krause et de Heinrich Ahrens Delia Manzanero (Université Rey Juan Carlos)/Antolín Sánchez Cuervo (IFS-CSIC)2 - Une réception du droit naturel krausiste en France : Edouard Laboulaye Tristan Pouthier (CRJ Pothier - Université d’Orléans)3 - Le droit naturel de Vicente Ferrer Neto Paiva et la réception portugaise du krausisme Maria Clara Calheiros (JusGov - Université du Minho)Utilisations et mésusages de la pensée de Krause et d’Ahrens en droits public et civil4 -À propos de la méconnaissance, du dédain voire du rejet du krausisme par les juristes allemands du XIXe siècle Olivier Jouanjan (Institut Villey- Univ. Paris II)5 - La réforme de l’Etat par les krausistes espagnols au second XIXe siècle Paul Aubert (TELEMME – Université d’Aix-Marseille)6 -Krausisme et kantisme dans l’œuvre juridique du Doyen dijonnais Claude-Joseph Tissot Jean-Jacques Clère (CREDESPO – Université de Bourgogne)Droit pénal et droit social krausistes7 - Le droit pénal de Karl Röder Jean-Louis Halpérin (CTAD – Ecole Normale Supérieure)8 - Le rôle des krausistes dans l’institution des sciences sociales et la critique du droit libéral (Espagne, 1880-1910) Élodie Richard (EHESS, LIER- FYT)Concept et réalisations du krausisme politique9 - Krausist politics ? Heinrich Ahrens in the Frankfurt Parlement (1848/1849) Wolfgang Forster (Université de Tübingen)10 -L’actualité de l’idéal krausiste : le programme politique de Ciudadanos dans l’Espagne du XXIe siècle Mathieu Petithomme (CRJFC – Université de Franche-Comté)Day 2Diffusions d’un message d’espoir11 -Scruter et répandre « l’époque nouvelle » depuis Prague : la revue Die neue Zeit de Hermann Karl von Leonhardi Caroula Argyriadis-Kervégan (CPJP – Université de Cergy-Pontoise)12 -Le projet européen krausiste Raphaël Cahen (CORE – Vrije Universiteit de Bruxelles)Réceptions contrastées13 -Proudhon, lecteur de Krause ? Anne-Sophie Chambost (CERCRID - Sciences Po Lyon)14 -La réception manquée des krausistes par les proudhoniens et les utopistes français Aurélie Lahaie (CREDESPO – Université de Bourgogne)15 -Krause plus Proudhon ? La synthèse belge de la représentation du travail Edward Castleton (Logiques de l’Agir, Université de Bourgogne-Franche-Comté)16 -Utopies organicistes et régulations corporatistes dans les dissertations doctorales portugaises du second XIXe siècle : les rêveries krausistes des ministres Mártens Ferrão et Costa Lobo Oscar Ferreira (CREDESPO – Université de Bourgogne)
Full programme (including hours) here.
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