(source: France Culture
Abstract:
Certains ont peut-être encore en mémoire la perp walk que la police de New York avait fait subir à Dominique Strauss-Kahn au sortir du commissariat à propos de l’affaire du Sofitel. L’opinion française avait été choquée par cette pratique courante de l’exhibition publique du perpetrator c’est-à-dire du « criminel » (à un moment où il est amené au palais de justice pour y être jugé, qui détonne dans une culture qui se prétend si soucieuse de la présomption d’innocence). Peut-être réactivait-elle un rituel punitif très ancien : celui du pilori médiéval. La mise au pilori est une peine de haute justice qui naît au XIIe siècle dans le nord de la France, en même temps que d'autres peines infamantes. La culture médiévale de l'honneur stimule en effet l'émergence de nombreuses pratiques de dégradation symbolique, allant de la simple rumeur jusqu'à l'humiliation des cadavres. Les institutions judiciaires participent à ce paysage du déshonneur et le pilori en est le témoin le plus courant. Isabelle d'Artagnan nous explique "le pilori est une institution proprement médiévale qui naît lors de la grande mutation du XIe-XIIe siècle. C'est un moment d'émergence de nombreuses villes industrieuses qu'on appelle par exemple les villes drapantes, où l'on fait du drap et du commerce, autour d'une nouvelle institution : le marché. Et le pilori est là pour définir et protéger le marché. C'est un grand poteau où sont frappées les armes du propriétaire du marché, du seigneur qui a fondé le marché, ce n'est pas seulement un instrument de supplice. Le pilori devient le support de nombreuses pratiques judiciaires qui servent à protéger la loyauté des transactions afin notamment d'éviter les risques de fraude. Parmi ces pratiques, il y a le fait d'attacher un fraudeur à ce grand poteau de justice, qui trône à peu près au milieu du marché, pendant quelques heures. Et puis de le soumettre à tout un tas d'outrages afin de le marginaliser et de le priver de son honneur". Le pilori était donc une manière de sécuriser les transactions, de réaffirmer la juridiction du seigneur et de resserrer la cohésion sociale par un rituel très populaire qui associait tous les villageois à la peine. Corinne Leveleux ajoute "cette peine du pilori émerge à une période où on voit une mutation du droit pénal, autour notamment de la question de la réputation. C'est-à-dire qu'on va passer d'une justice où les intérêts des particuliers sont lésés à une justice qui a une dimension beaucoup plus publique et qui va s'appuyer sur la réputation des uns ou des autres pour amorcer des enquêtes. La question de l'infamie devient donc une question centrale dans le développement du droit pénal. C'est une infamie qui est en quelque sorte antérieure à la procédure, et que la procédure a pour objet soit de vérifier, soit d'infirmer. C'est donc une façon d'ouvrir la porte au juge pour se saisir de la matière sociale et pour mener son enquête, et cela est très nouveau. La peine de pilori répond parfaitement à cette nouvelle compréhension de l'infamie ou de la réputation dans le droit".
No comments:
Post a Comment